15 mai 2011 : Les Indignés en masse sur les grandes places d’Europe

mardi 6 juin 2023.
 

Après les Islandais sur la place Austurvöllur, après la casbah de Tunis et la place Tahrir du Caire, voici des dizaines de milliers de jeunes occupant la Puerta del Sol à Madrid, défilant sur les places et avenues les plus célèbres d’Europe... Comme nous l’avions fait en 1968 de Paris à Washington, de Madrid à Dakar, de Londres à Varsovie... Comme si les lutins de la Résistance sociale et démocratique somnolaient sous ces places pour réapparaître toujours plus ingénieux, toujours plus insolents face aux puissants.

Manifeste de « Democracia Real Ya ! ». Liste des occupations en Espagne et ailleurs

Ne boudons pas notre plaisir ! Ce 15 mai 2011, la vieille Europe a vu des dizaines de milliers de jeunes occuper les places mythiques des grandes villes.

Qui a été capable d’initier un tel succès ? Los Indignados de 58 villes espagnoles.

* 1) Ces jeunes s’insurgent contre leur situation de précarité et de chômage. Ils ont parfaitement raison.

1914... 2012 La jeunesse toujours sacrifiée

- Ces manifestants considèrent que les partis politiques ne jouent pas leur rôle de définition et de protection de l’intérêt public. Ils donnent raison à l’argumentation développée par Jean-Luc Mélenchon voici 5 mois seulement.

Qu’ils s’en aillent tous !

* 2) Ces jeunes se présentent souvent comme "apolitiques". Il ne faut pas s’en formaliser ; cela signifie seulement qu’ils se différencient de la politique politicienne et qu’ils sont soucieux de la massivité du mouvement dans leur classe d’âge ; c’est également une caractéristique habituelle des luttes dans leur phase débutante.

Lorsque de nouvelles populations se réveillent de leur somnolence citoyenne parce que chaque individu se voit personnellement touché, elles commencent par se prétendre apolitiques, hors parti... Ce fut le cas en 1918 1919 avec le mouvement pacifiste, ce fut le cas de 1960 à 1965 avec le mouvement antinucléaire et les beatniks.

Avant de s’en prendre au capitalisme, chaque nouvel indigné parle d’abord de lui, de ses boulots de merde, de son porte-monnaie vide, de sa retraite évanescente... Plutôt que de participer à construire un parti pour changer le système, chaque nouvel indigné a besoin de sentir qu’il agit immédiatement lui-même.

Comme beaucoup de ces nouveaux indignés sont marginalisés socialement, leur marche les pousse spontanément vers un lieu non marginal, la place symbolique de la capitale. Ainsi se sont retrouvés côte à côte sur la Place Syntagma d’Athènes, les organisations de la gauche radicale et les apolitiques du matin même, sous les mêmes mots d’ordre.

Ceci dit, lorsque l’on se réclame des récents mouvements islandais, grecs, arabes et portugais, lorsque l’on se réclame du Mai 68 français, lorsque l’on dénonce les milliards pour les banques et l’austérité pour les peuples, on choisit, même sans s’en rendre compte, le camp opposé au capitalisme.

* 3) Il suffit de suivre l’extension et l’évolution politique rapide du mouvement étudiant chilien en ce mois de mai 2011 pour comprendre qu’une lutte massive et déterminée sur des revendications démocratiques se politise d’elle-même.

Mai Juin 2011 au Chili : un mouvement étudiant d’ampleur historique, révolutionnaire antilibéral

Quel plaisir que de voir à la tête de cette mobilisation impressionnante, Camila Vallejo, cette petite fille d’un ancien adhérent du MIR (Mouvement de la Gauche Révolutionnaire) des années 1970, une organisation que Pinochet avaient voulu exterminer jusqu’au canari.

* 4) Sur le fond, l’irruption de ces jeunes sur la scène médiatique, de Santiago à Madrid :

- confirme le documentaire d’Arte (2010)

Un vent d’émeute se lève aujourd’hui sur la planète : les raisons de la colère (documentaire d’Arte)

- me rappelle la conclusion d’un article récent de La Tribune de Genève (février 2011) « Sous l’effet de la crise planétaire, les utopies cohérentes se multiplient désormais, élaborées pour le cas où. On dirait que l’idée de révolution, si longtemps honnie, tend à redevenir « in », même chez nous ! »

Et si la révolution revenait dans l’air du temps ? (Tribune de Genève)

* 5) La première mobilisation de ce type en Europe a surgi voici deux mois seulement au Portugal avec Geração à rasca (génération à la traîne) . Ce qui m’a le plus frappé en lisant les discours et écrits des animateurs, c’est plus un anticapitalisme offensif que l’apolitisme habituel des gens de droite qui cachent ainsi leur conservatisme.

12 mars 2011 Les oeillets refleurissent au Portugal

* 6) Ces jeunes cherchent à occuper des lieux publics symboliques. Ils ont raison. Dans la société capitaliste, le rapport de forces ne se joue pas seulement sur les lieux de travail. L’hégémonie idéologique passe par des médiations diverses dont l’irruption massive dans les lieux qui frappent l’imaginaire collectif.

Les révolutions du monde arabe l’ont parfaitement compris cet hiver et les Indignés d’Europe ont compris la leçon.

En Tunisie, C’est place de la Casbah, sous les fenêtres du premier ministre, que les enfants de Sidi Bouzid, de Kasserine, de Tunis ont signifié leurs refus de voir la révolution usurpée. Quand les beaux esprits fraîchement convertis à la « démocratie » les enjoignaient de rentrer chez eux, ils ont campé là, au sommet de la colline dominant l’enchevêtrement de ruelles de la Medina, promettant de veiller sur la révolution, de s’ériger en rempart contre toute tentative de restauration. Cette casbah, ancienne capitale du grand sultan almohade Abd El Moumin, devint alors le lieu d’un « face-à-face captivant entre une rue qui campe sur des positions non négociables, le front du refus catégorique de l’ancien système, et un gouvernement désertant une à une des positions réputées imprenables » (Taoufik Ben Brik)

13 janvier 2011 La révolution démocratique tunisienne balaie le dictateur Ben Ali Acte 1

* 7) Ami lecteur de cet article, si tu crois que j’exagère en jugeant que remonte la combativité populaire, en particulier dans la jeunesse, pour refuser la vie sécuritaire et austéritaire que les milliardaire veulent imposer, regarde ces places d’Europe qui voient affluer des adolescents parfois naïfs mais toujours sincères et déterminés dans ces jours suivant le 15 mai. Je ne m’attends absolument pas à une montée linéaire de la mobilisation mais la leçon de ce printemps ne sera pas perdue ; j’en suis persuadé.

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* 8) Nous ne devons surtout pas prendre de haut ces mouvements. Ils sont aujourd’hui aussi importants que les élections et les luttes ouvrières.

Leur pacifisme, leur moralisme, leur simplisme dans la mise en cause du système financier capitaliste peuvent toucher de grandes masses mieux et autrement que l’activité de nos organisations politiques. Même Mario Draghi et Jean-Claude Trichet disent comprendre "les Indignés". Cela contribue à valider nos analyses auprès de milieux généralement imperméables à la pensée anticapitaliste.

Ce mouvement des Indignés présente des formes et des contenus extrêmement divers qui touchent généralement à un aspect de la marchandisation de la planète ; parfait ! Ce mouvement en appelle de façon souvent naïve à un monde de partage, de démocratie, de culture, de défense de l’environnement et des biens publics ; parfait ! La balle est à présent dans le camp des vrais socialistes et des anti-capitalistes : nous devrons être capables de rendre crédible un projet civilisationnel pour le 21ème siècle concrétisé par des programmes adaptés à chaque pays, chaque élection, chaque lutte. Nous devrons être capables en même temps de construire des organisations et fronts unitaires aptes à engager cette alternative.

Jacques Serieys


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