Instrumentalisation de l’extrême droite par la classe dominante

mercredi 1er mars 2023.
 

La plupart des sociologues, des politologues, des journalistes n’intègrent pas l’appareil médiatique dans un rapport de classe. Leur analyse concernant les causes de l’ascension de l’extrême droite en France et en Europe est, de ce fait, très insuffisante et reste aveugles sur un point essentiel : le rôle des médias dans la montée de l’extrême droite et sur son instrumentalisation.

On explique souvent la montée du FN et plus généralement des extrêmes droite en Europe par des raisons économiques : chômage, précarité, pauvreté croissance des inégalités, désindustrialisation de certaines régions, etc.

On convoque aussi des raisons sociologiques : déclassement d’une partie des classes moyennes et de jeunes diplômés, niveau culturel faible, déconnexion de nouvelles générations nées notamment après 1978 de la sombre mémoire de l’extrême droite

On utilise aussi des raisons politiques : discrédit des partis, corruption… on invoque aussi des raisons psychologiques : repli sur soi, crise identitaire, peur de l’autre, sentiment d’insécurité liée à la délinquance et au terrorisme…

On peut trouver une étude complète de ce type d’argumentaires dans numéro de la revue Science Humaine accessible avec le lien suivant :

FN : les raisons d’une ascension

https://www.scienceshumaines.com/fr...

On peut se référer aussi à la géographie du vote FN en cliquant sur le lien suivant :

https://www.franceculture.fr/politi...

Toutes ces raisons ne sont pas fausses mais sont loin d’être suffisantes pour expliquer la croissance électorale de l’extrême–droite. En effet, une question toute simple se pose : pourquoi toutes ces difficultés sociales avec les colères et le désespoir qui peuvent en résulter ne profitent pas à LFI, voire à l’extrême gauche ?

Une autre question : alors qu’il n’existe pas de militantisme FN dans certains villages ou bourgs, que ces petites agglomérations rurales périurbaines ne sont pas atteintes par le chômage, la délinquance, ne sont pas frappées par la crise, comment expliquer que le vote FN puisse atteindre des scores de 20, 30, 40 % ?

La raison en est simple : la croissance de l’extrême droite est essentiellement une construction médiatique : elle résulte de l’action des agents d’influence au service de la grande bourgeoisie qui utilise différentes techniques d’instrumentalisation de l’extrême droite. Nous examinerons en quoi consiste cette instrumentalisation.

L’instrumentalisation du FN puis du RN par la grande bourgeoisie armée de ses agents d’influence s’opère selon 4 fonctions.

Première fonction : une fonction d’épouvantail et de rabattage

Pour cela, il faut que l’électorat du FN atteigne un score électoral relativement important de manière à rendre crédible une éventuelle prise de pouvoir.

Pour ce faire, les médias lui accordent une bonne visibilité médiatique (pas forcément pour en faire l’éloge !).

Cela se traduit par un temps de parole relativement important.

Ainsi, par exemple, pendant la campagne présidentielle 2017, Marine Le Pen totalise un temps de 247 heures contre 176 heures pour Jean-Luc Mélenchon (+ 58 %).

Voir plus de détails en cliquant sur le lien suivant : http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Mais en même temps, les agents d’influence de la grande bourgeoisie continuent à entretenir une image relativement négative du FN (qui constituerait une menace pour les libertés publiques par exemple) et savent aussi, d’autre part, que le mode de scrutin et le découpage électoral pour les législatives est très défavorable pour le FN.

Ainsi, bon nombre d’électeurs se sont jetés dans les bras du PS avec Hollande et plus récemment dans ceux des partis de droite ou de l’hyper centre de Macron par peur d’ un cataclysme démocratique. Ainsi, environ un quart des électeurs du premier tour et près de la moitié des électeurs du second tour qui ont voté pour Macron ont voté Macron par peur du FN.

Remarquons qu’une grande visibilité médiatique, même lorsqu’elle comporte un aspect négatif est beaucoup plus favorable pour un candidat que le silence.

Ainsi, grâce à un temps de parole record (319 heures soit + 90 % par rapport à Mélenchon), François Fillon est arrivé troisième devant Mélenchon. Il a eu largement le temps d’expliquer son programme pour les électeurs qui lui étaient potentiellement favorables.

Mais, évidemment, l’exposition médiatique ne suffit pas lorsque le candidat représente un parti en perdition et rejeté par une grande majorité des électeurs. Ce fut ainsi le cas de Benoît Hamon qui a bénéficié de 275 heures (+ 72 % par rapport à Mélenchon).

Mais l’action médiatique ne se réduit pas à la radio et à la télévision, et s’exerce aussi avec la presse locale, régionale, nationale et les différents magazines.

Macron a eu un très fort appui de la presse nationale comme l’a montré le site « Le vent se lève ».

En revanche, la presse locale, toujours à l’affût du fait divers sécuritaire (cambriolages, délinquance en tout genre, voitures incendiées, occupation de terrain par des roms, etc.) alimente d’une manière régulière le fonds de commerce de l’extrême droite.

La seconde fonction est celle de la diversion

Les thématiques abordées par le FN et plus généralement l’extrême droite : l’immigration, les réfugiés, les problèmes d’identité, le communautarisme, la religion, la sécurité, arrangent la grande bourgeoisie puisqu’elles ne traitent pas des problèmes économiques fondamentaux comme le partage de la valeur ajoutée salaires/profits, l’exploitation de la force de travail des salariés, la précarité de l’emploi, la vassalisation des petites entreprises par les grands groupes financiers et industriels, etc.

Cela ne signifie pas évidemment qu’aucun problème économique n’est abordé : il est vrai par exemple que le FN remet en cause le libre-échange aveugle, mais ces questions restent marginales et ne mobilisent pas les militants de base, d’autant que, pour eux, le chômage et la stagnation du pouvoir d’achat ont pour cause essentielle l’immigration comme le pense aussi leur électorat populaire.

Mieux encore, ces thématiques déresponsabilisent la grande bourgeoisie ultralibérale, dans le chômage par exemple, l’immigration étant considérée comme une cause importante des difficultés économiques et sociales.

Ainsi, cette diversion joue un rôle d’obscurcissement des véritables causes des dégâts sociaux du néolibéralisme.

En outre, comme nous l’indiquions précédemment, le fait divers inquiétant générateur de peur, d’émotion, est largement exploité par les médias et notamment la presse locale. Cette basse continue accompagne le chant sécuritaire du FN devenu RN

La troisième fonction est celle de neutralisation, de siphonnage du mouvement alternatif comme LFI en France

Il s’agit de détourner une partie de l’électorat populaire qui pourrait être par exemple favorable à La France Insoumise

Pour ce faire, les médias ne remettent aucunement en cause les prétentions du FN à traiter des problèmes sociaux.

Sur ce plan, les médias essaient d’entretenir une confusion entre le programme social de l’Avenir en commun de LFI et certaines propositions du programme des 144 propositions du FN.

A l’exception de Mediapart, qui a fait des enquêtes sur les politiques sociales du FN dans les municipalités où il a été élu, silence radio dans l’espace médiatique.

Il s’agit pour les agents de l’action idéologique, les médias au service de la grande bourgeoisie, de rendre crédible la concurrence du FN sur le plan social avec LFI ou le PCF.

Le FN aurait-il participé à quelques manifestations pour le maintien de la retraite à 60 ans ? Jamais une telle question n’est posée par les médias.

On constate ainsi que la diabolisation du FN par les médias est sélective. Celui-ci doit rester attractif pour les classes populaires victimes de l’ultralibéralisme.

Cette neutralisation est complétée par des campagnes de dénigrement contre Mélenchon et des représentants de la France insoumise. La manipulation médiatique se fait aussi par l’image. D’un côté des photographies de Marine Le Pen agréable à regarder et d’autres par des photographies de Mélenchon avec un visage crispé et peu engageant.

La diabolisation de Mélenchon (dictateur en puissance, sympathisant des dictateurs, menaçant pour les libertés d’expression des journalistes,…) est beaucoup plus forte que celle s’exerçant envers Marine Le Pen.

En revanche, la diabolisation est à peu près de même intensité concernant le risque économique : dans les 2 cas, Mélenchon ou Le Pen au pouvoir conduiraient à un effondrement économique de la France. Une fois de plus, les journalistes du Disney World, les mettent dans le même sac de ce qu’ils nomment « les extrêmes », « les populistes ».

La quatrième fonction : celle de roue de secours

Le FN puis le RN comme tout parti de droite est un parti libéral qui ne compte pas remettre en cause la toute-puissance des patrons capitalistes.

L’histoire du 20ème siècle en Europe et dans le monde montre bien comment l’extrême droite a pu gérer les affaires des capitalistes qui ont d’ailleurs souvent participé à leur financement .

Faut-il rappeler que le château de Montretout a été légué à la famille Le Pen en 1976 par le milliardaire cimentier Lambert ?

Pour avoir une idée de la vie dans ce château, on peut se reporter à l’article relativement comique de Libération : http://www.liberation.fr/grand-angl...

Les agents d’influence de la grande bourgeoisie s’arrangent pour que les partis traditionnels de droite ou sociaux-démocrates convertis au néolibéralisme (UMP puis LR et PS en France) remportent les différentes élections avec une éventuelle « alternance ».

Les politiques économiques étant quasiment identiques, les problèmes sociaux subsistent et s’aggravent. Les bases électorales s’effritent jusqu’à devenir insuffisantes pour assurer l’hégémonie politique de la classe dominante.

La grande bourgeoisie décide alors de refondre les 2 bases électorales pour constituer un hyper centre essentiel à la pérennité de la classe dominante qui se trouve incarnée en France par Emmanuel Macron. Un phénomène analogue s’est produits en Allemagne par exemple.

Puis vient alors le moment ou à son tour, cette nouvelle base électorale devient insuffisante et où des forces politiques alternatives comme LFI en France peuvent prendre le pouvoir.

Une telle situation n’est pas inédite, et c’est déjà produite en Europe au 20 ème siècle

Il s’en est fallu de peu que cela n’arrive en 2017.

Une telle situation n’est pas inédite, et s’est déjà produite en Europe au 20ème siècle

C’est alors le moment pour la grande bourgeoisie de jouer la carte de l’extrême droite, les stratégies antérieures n’étant plus fonctionnelles.

Dès lors les agents de l’action idéologique de l’appareil médiatique en relation avec les exécutants politiques, vont prendre les dispositions nécessaires pour que LFI ne puisse prendre le pouvoir en France.

Le terrain est déjà bien préparé puisque Marine Le Pen a devancé avec 600 000 voix d’avance Jean-Luc Mélenchon à la dernière présidentielle.

Mais il faut une majorité à l’assemblée pour que Marine Le Pen puisse gouverner. On va donc assister un redécoupage électoral permettant au FN maintenant le RN d’améliorer sa représentativité.

Une campagne de dénigrement de forte intensité est à prévoir contre LFI avec instrumentalisation maximale de tous les courants concurrents : GénérationS, PS, IPR, PCF, etc.

Parallèlement à cela, une bonne visibilité médiatique sera assurée à l’extrême droite .

Il est bien évident que la bourgeoisie européenne préfère une Europe gouvernée par l’extrême droite que par des progressistes du genre insoumis qui remet en cause son système de domination.

Dans le cas où, à quelques jours des élections présidentielles, le représentant de LFI serait annoncé comme vainqueur de l’élection, il serait nécessaire que ce dernier prenne toutes les dispositions de sécurité nécessaires pour protéger sa vie : c’est un enseignement de l’histoire.

Quelques rappels historiques sur la collaboration de l’extrême droite avec la puissance capitaliste

1945 2018 : Dénazification ratée du Capital… 70 ans après la mort d’Hitler

Allemagne Pourquoi et comment le patronat a fondé le fascisme ?

Le fascisme naît en Italie comme agent du patronat et de la droite libérale

FRANCO : une chance (« suerte ») pour le capital

Industriels et banquiers français sous l’occupation

Hervé Debonrivage


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