La couille d’Hitler, les fripouilles et les andouilles

vendredi 26 mai 2023.
 

Comment expliquer le nazisme, les camps d’extermination, les 62 millions de morts de la seconde guerre mondiale lorsque l’on est un bien pensant du capitalisme, du libéralisme et de la droite ?

Un patron imbu du rôle positif du patronat ne peut reconnaître le rôle de grands chefs d’entreprise à l’origine du nazisme ni le soutien du patronat à Hitler de 1921 à 1940 qui explique largement sa réussite politique.

Allemagne Pourquoi et comment le patronat a fondé le fascisme ?

Un militaire peu réfléchi sur la nature de l’armée, ne peut reconnaître qu’Hitler serait resté un caporal si l’armée allemande ne l’avait pas chargé d’entrer au DAP, petite organisation d’extrême droite origine du parti nazi, puis d’en prendre la direction.

12 septembre 1919 : Hitler est chargé par l’armée de construire le futur parti nazi

Un profiteur du système financier capitaliste ne peut reconnaître que les banques ont joué un rôle important dans le financement d’Hitler pour qu’il puisse passer du statut de SDF à celui de führer de l’Allemagne.

Comment Londres et Wall Street ont mis Hitler au pouvoir

Un électeur de droite ne peut reconnaître que les partis de droite allemands ont porté légalement Hitler à la chancellerie et que les partis de droite de toute l’Europe ont fait leur possible pour protéger l’ascension du fascisme au moins jusqu’en 1937.

Allemagne 1931 1932 Patronat, armée et droite marchent au nazisme

30 janvier 1933 : Hitler devient le chancelier allemand. Responsabilités de Von Papen, dirigeant du Centre catholique, proche du futur Pie XII

Une brave américaine, un peu psychologue et très centrée sur sa personne, voyant son pays comme la plus grande démocratie du monde, ayant apporté la "liberté" sur tous les continents ne peut reconnaître le rôle des Etats Unis au plan politique (par exemple empêcher la France du Front populaire de passer des alliances militaires contre Hitler) et économique dans l’ascension du capitalisme fascisant et d’Hitler.

Alors, quelle cause le patron, le militaire, l’actionnaire, l’électeur de droite et cette psychologue américaine donnent-ils au nazisme, à la shoah et à la seconde guerre mondiale ?

Hitler aurait été un malade mental.

Cette "théorie" demandait à être validée par des "faits" et répétée des milliers de fois de façon différente pour contredire la remarque immédiate : si Hitler était un malade mental, cela ne ferait qu’aggraver la responsabilité du patronat, de l’armée, des banques, de la droite et des Etats Unis.

Les fripouilles grassement payées ont assuré le travail de propagande et les andouilles ont gobé leurs bêtises.

A) Quelle peut être l’origine et la nature de la maladie mentale d’Hitler ? la piste monocouille

L’explication la plus connue quant à l’origine de la maladie mentale d’Adolf Hitler est aussi la plus ridicule : il n’aurait porté qu’un testicule au lieu de deux.

L’importance "théorique" de cette affirmation ne peut se comprendre sans prendre en compte :

- la vague psy de la fin du 20ème siècle et connaître un peu le freudisme à l’anglo-saxonne qui cherche une explication sexuelle à chaque comportement humain.

- la vague idéologique innéiste américaine correspondant au libéral-conservatisme triomphant qui allait chercher par exemple la cause des difficultés scolaires dans la génétique parentale ; l’absurde n’ayant pas de limite, un "expert des médias" pouvait tout autant aller chercher l’explication du nazisme dans une malformation infantile d’Hitler.

Une "école" étatsunienne de psycho-historiens "freudiens" a longuement analysé et publié des textes sur le lien entre le monorchisme d’Hitler, sa psychologie et sa cruauté envers les Juifs.

Il suffit en 2011 de lancer une recherche MONORCHISME sur le web pour trouver des "analyses" comme celle-ci (toujours dans les cinq premières occurences) d’un certain SHLOMO sur le site ashomer « Hitler souffrait de monorchisme, malformation congénitale qui par les problèmes, plus psychologiques que physiologiques, qu’elle entraîne est susceptible d’être responsable de troubles sociologiques, spécialement dans les sociétés de type patriarcal. »

Cette malformation étant assez fréquente, imaginez un parent fouiller le web pour en connaître la gravité. Il va trouver de nombreux bêtisiers de ce genre, craindre d’avoir enfanté un monstre au lieu d’une explication rationnelle et rassurante :chez quatre pour cent environ des garçons nouveau-nés on peut constater un testicule non descendu (soit environ 1 400 000 français mâles actuels chez qui aucune conséquence psychologique grave n’a été constatée).

De grands romanciers étatsuniens ont brodé à partir de cette histoire d’Hitler monocouille en prétendant toujours avoir pris soin de vérifier les faits relatés. C’est le cas par exemple de Norman Mailer dans "Un château dans la forêt".

Hitler a-t-il fait partie des 4% de bébés mâles dont un testicule n’est pas descendu ? NON. Sur ce point, son docteur de famille, un juif autrichien nommé Edouard Bloch, réfugié à New-York de 1938 à 1976, a toujours été clair : les deux testicules d’Hitler étaient descendus à sa naissance et il ne présentait aucune malformation sexuelle.

Qu’à cela ne tienne pour les fripouilles inventeurs de mensonges : si Hitler n’est pas né monocouille, et ne l’est pas resté durant sa petite enfance, c’est qu’il l’est devenu plus tard sinon comment les journaux people pourraient-ils expliquer le nazisme.

Ainsi, dans les années 1990, divers journalistes et "experts" ont repris une "information" saugrenue, jamais validée par un document ou un témoignage : Adolf Hitler aurait perdu un testicule durant son enfance en voulant uriner (comme un bouc) dans la bouche d’une chèvre... qui avait serré les dents.

Le Dr Edouard Bloch avait pourtant affirmé être resté le médecin de famille durant toute l’enfance et l’adolescence d’Adolf. Un écrivain américain, plus sérieux que la moyenne, prouva que cette histoire de chèvre était une invention grotesque.

Qu’à cela ne tienne pour les fripouilles inventeurs de mensonges : si Hitler n’est pas né monocouille, s’il ne l’est pas devenu durant son enfance ou son adolescence, c’est qu’il l’est devenu plus tard sinon comment les journaux people pourraient-ils expliquer le nazisme.

C’est alors que surgit la sottise abracadabrantesque d’un médecin allemand mort qui aurait recueilli la confidence d’un prêtre qui aurait confessé Hitler et pris des notes .

" En 1916, ils ont vécu leurs plus durs combats pendant la bataille de la Somme... Il se souvient d’Hitler... son abdomen et ses jambes étaient en sang. Hitler était blessé au ventre et avait perdu un testicule..." (The Sun, tabloïd anglais).

Premièrement, ces prétendues notes du prêtre confesseur n’ont jamais été rendues publiques. Deuxièmement, les documents médicaux signalent une blessure à la cuisse mais pas aux testicules ni à l’abdomen.

Je ne veux pas clore cet article sans

- proposer au lecteur mon article complémentaire sur le même sujet : Hitler : Diable, malade mental ou fasciste normal ?

- citer Ron Rosenbaum, écrivain américain, qui a réalisé un gros travail sur les causes du nazisme :

« Faites que ça s’arrête, cette fixation sur la sexualité d’Hitler, sur sa perversité. C’était un homosexuel « prédateur », « il se livrait à des relations perverses avec sa nièce mineure ». Et le pompon, un mythe que je pensais avoir réfuté une bonne fois pour toutes mais qui ressurgit à nouveau : Hitler n’avait qu’un testicule.

Derrière tout ça, le besoin de prouver qu’Hitler n’était pas « normal », c’est-à-dire pas comme nous, la nature humaine se trouvant ainsi disculpée d’avoir produit un Hitler. C’est rassurant : il n’y pas le potentiel d’un Hitler dans le potentiel humain.

J’ai essayé d’attirer l’attention sur l’absence d’arguments historiques sur lesquels s’appuient nos efforts pour associer Hitler (et les nazis en général) à la sexualité hors-norme. Il y a quelques années dans une chronique de Slate, j’ai abordé la rumeur « Hitler-était-homosexuel », idée qui associe implicitement le comportement homosexuel à la pathologie criminelle d’Hitler...

Et j’ai consacré un chapitre de mon livre « Explaining Hitler » à essayer de discréditer les rumeurs de perversion, l’histoire de Geli Raubal, cet effort de transfuges nazis et de freudiens pour prouver que si Hitler était vraiment diabolique, c’était à cause de sa relation sexuelle perverse avec sa demi-nièce, Geli, qui s’est suicidée avant qu’il devienne Führer (comme si sans cela, il aurait été un type bien)...

je me demande encore ce qui est à l’origine de cette avidité. Pourquoi autant de gens sont-ils prêts à croire, comme le titre du Sun le disait qu’“Hitler n’avait qu’une couille” ?

Et même si c’était vrai, qu’est-ce que ça prouverait ? Les théories freudiennes sur le monorchisme s’appuient généralement sur l’idée que c’était quelque chose qu’il avait depuis la naissance ou s’était développé pendant la puberté, comme c’est le cas pour beaucoup d’hommes, en général avec très peu de conséquences. Inutile de préciser qu’on viverait dans un monde extrêmement dangereux si tous les jeunes monorchides devenaient des Hitler.

Même si le document du Sun n’est pas bidon, cela complique ces théories, parce que cela montre qu’Hitler a perdu un testicule à l’âge adulte et avait donc développé l’essentiel de sa personnalité à une époque où il était doublement burné.

Bien sûr, la blessure au combat semble suffisamment douloureuse, traumatisante même, mais vraiment de quoi faire un Hitler d’Hitler ? De quoi être un facteur de sa personnalité ou de la formation de son idéologie. En fait, dans sa biographie, Ian Kershaw est très clair sur le fait qu’Hitler “a commencé à détester les juifs pendant qu’il était à Vienne”, donc des années avant la guerre.

Une théorie déculpabilisante

L’envie de croire l’histoire du Sun, on s’en fait une idée aux soi-disant mots du médecin qui se met à faire des cauchemars et à s’en vouloir d’avoir sauvé Hitler.

Voilà à quoi tient l’attrait de cette histoire ou de cette fable comme vous voulez l’appeler : ce ne sont pas les démocraties occidentales qui n’ont pas réussi à sauver le monde d’Hitler avec leur politique d’apaisement ; c’est Johan Jambor qui aurait pu le faire. Hitler, ce n’est pas la faute du peuple allemand, c’est la faute de cet allemand Johan Jambor et d’une couille qui manque.

C’est aussi le problème que me posent des films comme La Chute. Le film prétend offrir “l’histoire vécue de l’intérieur” des derniers jours d’Hitler dans son bunker allemand et défend implicitement l’idée que l’Holocauste ne s’est pas produit à cause du peuple allemand –non, ils sont aussi victimes ! - mais d’un homme, Hitler, et du petit groupe de fous diaboliques qui l’entouraient. Rien sur la façon dont l’Allemagne a accueilli l’antisémitisme exterminationiste.

Tout ce que cette obsession nous apprend, c’est la façon dont notre culture refuse de faire face à la profondeur et à la complexité du mal -et à quelques exceptions honorables près- préfère échapper aux questions sur qui porte la responsabilité d’Hitler et de l’Holocauste en en faisant porter la faute à des mythologies sexuelles de pacotille et à la notion freudienne que tous les comportements ont une explication sexuelle.

D’une certaine manière, l’attention portée à la supposée anormalité sexuelle d’Hitler devient le testicule qui manque à l’Allemagne : la déculpabilisation monorchide à des meurtres de masse. Ne l’encourageons pas. »

Ron Rosenbaum est l’auteur de “The Shakespeare Wars and Explaining Hitler”.


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