Le 18 juin 1940 De Gaulle n’a pas lancé son appel fondateur de la Résistance, jusqu’à preuve du contraire.

samedi 29 juillet 2023.
 

1) Pourquoi mon point de vue critique sur "l’appel du 18 juin" ?

- parce que la Résistance mérite mieux que des accommodements avec la réalité risquant un jour de jeter le doute sur elle. Il est clair en particulier qu’il n’y a pas eu d’appel de Charles De Gaulle diffusé par la BBC à la Résistance le 18 juin 1940, mais seulement un communiqué de la BBC demandant aux Français présents en Grande Bretagne de le rejoindre. Ce texte est reproduit ensuite en France par trois journaux dont Le petit provençal comme communiqué de la BBC. Les historiens connaisseurs du sujet le confirment.

- parce que la décision de compter "le" discours du 18 juin dans le patrimoine de l’humanité sous la responsabilité de l’UNESCO en fait un document de référence présenté, par exemple en milieu scolaire, comme LA VERITE. Or, nous devons aux enfants de les respecter dans leur crédulité et dans leur confiance envers l’enseignant

- non pour atténuer le mérite du général De Gaulle qui a effectivement choisi de continuer la guerre face à l’Allemagne nazie dès le 17 juin 1940

- non pour minorer l’importance de son opposition à Pétain et Hitler depuis Londres. Fils et petit-fils de résistants, je sais parfaitement le regain de confiance qu’a apporté sa détermination publique durant l’été 1940

- non pour minimiser sa contribution au développement de la Résistance et de ses soutiens passifs

- mais parce que du 17 juin à juillet 1940, De Gaulle ne parle jamais de résistance populaire, de résistance politique face au nazisme en France. Une telle idée est impensable pour un homme élevé dans une tradition culturelle nationaliste contre-révolutionnaire, plus cléricale et monarchiste que républicaine. Pour lui, continuer la guerre relève du rôle de l’armée, quitte à la poursuivre à partir de "l’Empire colonial" même s’il a reçu très peu de soutien parmi les responsables français (militaires ou civils) présents à Londres ou dans les "colonies".

- parce que ce n’est pas De Gaulle qui a créé la "France libre" par un discours fondateur du "18 juin" mais c’est le début d’existence d’une Résistance en France qui a donné une crédibilité à De Gaulle vis à vis des USA et de la Grande Bretagne en particulier.

- - parce que les premières formes de résistance en France dès les 17 et 18 juin sont le fait de personnes et réseaux clairement marqués politiquement à gauche. La valorisation de Charles de Gaulle comme initiateur de la Résistance au nazisme et au pétainisme se comprend de la part de gens qui essaient ainsi de faire oublier que la droite française était très majoritairement pétainiste et même assez souvent fasciste en 1940 et que la Résistance était portée à 99% par des gens de gauche convaincus (plus quelques individus, par exemple dans l’extrême droite nationaliste anti-allemande). Reconnaître le "discours du 18 juin" comme " l’acte de foi fondateur de la France Libre" a déjà coûté cher à la gauche à la Libération et depuis la Libération.

- parce que le texte d’inscription de ce discours au patrimoine de l’humanité contredit lui-même la légende gaulliste du 18 juin :

« 18 juin / Installé au 7-8 Seymour Grove, de Gaulle rédige le texte de l’Appel. / Dans l’après-midi, le texte est soumis au cabinet britannique et à Churchill. / En fin d’après-midi, de Gaulle se rend à la BBC et lit son appel au micro de la BBC »

Or, De Gaulle a affirmé toute sa vie ne pas avoir présenté le texte de l’appel au gouvernement britannique.

Les archives de la BBC ne laissent aucun doute sur la date où le général de Gaulle a prononcé de Londres un premier discours d’appel à la résistance : 2 juillet 1940.

http://www.ecpad.fr/ce-film-est-une...

Par ailleurs, l’appel du 18 Juin est très souvent confondu avec le texte de l’affiche « À tous les Français » qui fut placardée sur des murs au Royaume-Uni, en août 1940. L’un et l’autre textes ont été publiés en première page du no 1 du Bulletin officiel des Forces françaises libres le 15 août 1940.

Le premier appel connu du général de Gaulle en juin 1940 est celui du 22 juin, différent de celui du 2 juillet (il n’appelle pas à la Résistance sur le sol français et apparaît plus comme une pression sur le gouvernement Pétain), mais dont l’importance historique ne fait pas de doute :

2) Le prétendu appel de De Gaulle à la BBC le 18 juin

Les manuels scolaires d’histoire comme la Fondation De Gaulle, comme le logiciel de recherche documentaire de l’Education Nationale présentent le texte suivant comme celui du 18 juin.

« À tous les Français.

« La France a perdu une bataille !

« Mais la France n’a pas perdu la guerre !

« Des gouvernants de rencontre ont pu capituler, cédant à la panique, oubliant l’honneur, livrant le pays à la servitude, Cependant rien n’est perdu.

« Rien n’est perdu, parce que cette guerre est une guerre mondiale. Dans l’univers libre, des forces immenses n’ont pas encore donné. Un jour, ces forces écraseront l’ennemi. Il faut que la France, ce jour-là, soit présente à la victoire. Alors, elle retrouvera sa liberté et sa grandeur. Tel est mon but, mon seul but.

« Voilà pourquoi je convie tous les Français, où qu’ils se trouvent, à s’unir à moi dans l’action, dans le sacrifice et dans l’espérance.

« Notre patrie est en péril de mort.

« Luttons tous pour la sauver !

« Vive la France ! »

Or, il s’agit là du texte de l’affiche de 60 centimètres sur 40, tirée à 1.000 exemplaires par un artisan londonien, Achille Oliver Fallek, pour être apposée sur les murs de Londres et reproduite dans le journal The Times dans son édition du 5 août 1940.

Puisque le texte habituellement présenté comme celui du 18 juin est un faux, essayons d’éclaircir cette énigme, d’autant plus qu’un autre texte est présenté comme celui du 18 juin.

3) TEXTE DE L’APPEL du 22 JUIN 1940 ou un peu plus tard

Ce texte-là constitue une réponse à l’armistice signé le 22 juin 1940. Il ne peut donc dater du 18.

Le gouvernement français, après avoir demandé l’armistice, connaît, maintenant, les conditions dictées par l’ennemi.

Il résulte de ces conditions que les forces françaises de terre, de mer et de l’air seraient entièrement démobilisées, que nos armes seraient livrées, que le territoire français serait totalement occupé et que le gouvernement français tomberait sous la dépendance de l’Allemagne et de l’Italie.

On peut donc dire que cet armistice serait non seulement une capitulation mais encore un asservissement.

Or, beaucoup de Français n’acceptent pas la capitulation ni la servitude pour des raisons qui s’appellent l’honneur, le bon sens, l’intérêt supérieur de la patrie.

Je dis l’honneur, car la France s’est engagée à ne déposer les armes que d’accord avec ses alliés.

Tant que ses alliés continuent la guerre, son gouvernement n’a pas le droit de se rendre à l’ennemi.

Le gouvernement polonais, le gouvernement norvégien, le gouvernement hollandais, le gouvernement belge, le gouvernement luxembourgeois, quoique chassés de leur territoire, ont compris ainsi leur devoir.

Je dis le bon sens, car il est absurde de considérer la lutte comme perdue.

Oui, nous avons subi une grande défaite.

Un système militaire mauvais, les fautes commises dans la conduite des opérations, l’esprit d’abandon du gouvernement pendant ces derniers combats nous ont fait perdre la bataille de France.

Mais il nous reste un vaste empire, une flotte intacte, beaucoup d’or.

Il nous reste des alliés dont les ressources sont immenses, et qui dominent les mers.

Il nous reste les gigantesques possibilités de l’industrie américaine.

Les mêmes conditions de la guerre qui nous ont fait battre par cinq mille avions et six mille chars peuvent nous donner, demain, la victoire par vingt mille chars et vingt mille avions.

Je dis l’intérêt supérieur de la patrie car cette guerre n’est pas une guerre franco-allemande, qu’une bataille puisse décider.

Cette guerre est une guerre mondiale.

Nul ne peut prévoir si les peuples qui sont neutres, aujourd’hui, le resteront demain.

Même les alliés de l’Allemagne resteront-ils toujours ses alliés ?

Si les forces de la liberté triomphent finalement de celles de la servitude, quel serait le destin d’une France qui se serait soumise à l’ennemi ?

L’honneur, le bon sens, l’intérêt supérieur de la patrie commandent à tous les Français libres de continuer le combat là où ils seront et comme ils pourront.

Il est, par conséquent, nécessaire de grouper partout où cela se peut une force française aussi grande que possible.

Tout ce qui peut être réuni en fait d’éléments militaires français et de capacité française de production d’armement doit être organisé partout où il y en a.

Moi, général De Gaulle, j’entreprends ici, en Angleterre, cette tâche nationale.

J’invite tous les militaires français des armées de terre, de mer et de l’air, j’invite les ingénieurs et les ouvriers français spécialistes de l’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui pourraient y parvenir, à se réunir à moi. J’invite les chefs, les soldats, les marins, les aviateurs des forces françaises de terre, de mer, de l’air, où qu’ils se trouvent actuellement, à se mettre en rapport avec moi. J’invite tous les Français qui veulent rester libres à m’écouter et à me suivre.

Vive la France libre dans l’honneur et dans l’indépendance !

Comme le communiqué diffusé par la BBC, le texte ci-dessus a pour objectif de grouper les militaires et civils de l’armement français présents en Grande-Bretagne. Il invite aussi "tous les Français qui veulent rester libres à m’écouter et à me suivre" mais ce n’est pas un appel à constituer la Résistance.

4) Un autre texte a été longtemps présenté comme le bon. Rédigé plus probablement fin juin 1940, il n’est pas non plus du 18

Voici le texte que je connaissais dans ma jeunesse comme le fameux appel du 18 juin. Il a été publié plusieurs fois, par exemple sous la signature d’Henri Amouroux. En 2022, c’est encore celui qui est cité dans le dossier de RFI comme étant l’appel du 18 juin

https://www.rfi.fr/fr/connaissances...

Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises ont formé un gouvernement.

Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat.

Certes, nous avons été, nous sommes submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l’ennemi.

Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous ont fait reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui.

Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !

Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.

Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limites l’immense industrie des États-Unis.

Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.

Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas.

Demain, comme aujourd’hui, je parlerai à la Radio de Londres. »

Notons que cet appel ne constitue pas un appel aux Français pour La Résistance. Il s’agit seulement d’un appel aux « officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi. »

Le texte de l’’appel du général De Gaulle prononcé à la BBC est encore différent

Cet appel-là est facile à dater par les archives de la BBC : 2 juillet 1940.

5) L’appel du 2 juillet prononcé par De Gaulle à la BBC

Pourquoi ce discours prononcé le 2 juillet a-t-il été présenté comme datant du 18 juin ?

- parce que des groupes de résistance commencent à se constituer en France autour de personnalités de gauche, en particulier communistes.

18 juin 1940 Georges Guingouin commence la résistance

- Parce que plusieurs appels à la résistance émanant de personnalités de gauche, en particulier communistes, avaient eu lieu plus tôt ; or les milieux gaullistes tenaient à faire du général le père fondateur de la Résistance, son chef naturel, parce qu’il aurait été le premier.

Résistance : L’appel de Charles Tillon du 17 juin 1940

Qu’est-ce qui rend cet appel crédible le 2 juillet et pas le 18 juin ? parce que Churchill a reconnu De Gaulle comme représentant de la France le 27 juin 1940.

Nous trouvant en présence de quatre appels, il est temps de fouiller la réalité des faits en mai, juin, juillet, août 1940 pour comprendre.

6) Le contexte historique du 18 juin 1940

L’attaque allemande commence le 10 mai 1940 en Hollande et Belgique. Le 13 mai, les Panzerdivisions franchissent la frontière française à travers les Ardennes. Le 19 mai, Paul Reynaud (Président du conseil) veut donner plus de poids à son gouvernement ; pour affronter la crise militaire et politique en cours, il fait appel à plusieurs personnalités dont Pétain (vice-président du conseil). Weygand est nommé commandant de l’armée de terre. Mais Rouen tombe le 9 juin, Paris le 14, Orléans le 16, Belfort le 18, Lyon, Clermont Ferrand et Angoulême le 24.

Les soldats français résistent de leur mieux aux armées nazies mais l’imprégnation fascisante de la droite française, du patronat français et du commandement militaire français est trop forte pour que la France ne sombre pas en ce mois de juin 1940.

Les populations civiles fuient par millions sur les routes (6 millions vers le Midi). Le gouvernement (comprenant à présent le général de Gaulle, sous-secrétaire d’État à la Défense nationale et à la Guerre) se replie vers la Touraine puis Bordeaux (14 juin).

Charles de Gaulle est envoyé par Paul Reynaud en mission auprès de Winston Churchill pour coordonner l’action des deux alliés battus. Le 9 juin, il essaie de persuader le premier ministre d’envoyer en France des forces armées britanniques (dont la Royal Air Force). Le 14, il se rend à nouveau à Londres pour envisager différentes hypothèses permettant la continuation du combat par la France (réduit breton ? repli en Afrique du Nord ?...) ; Churchill l’utilise pour pousser le gouvernement français à ne pas abandonner le combat face à Hitler puis lui prête un avion pour aller à Bordeaux où le gouvernement français s’est replié.

De Gaulle revient en France (Bordeaux Mérignac) le 16 juin à 21h30. Il apprend la déroute complète de l’Etat, le remplacement de Reynaud par Pétain, favorable à un armistice avec Hitler. Il informe plusieurs personnalités de sa volonté de rejoindre l’Angleterre. Paul Reynaud lui fait parvenir 100000 francs pris sur les fonds secrets ainsi que les clefs de son appartement à Londres. Dans la soirée également, il s’entretient avec Sir Donald Campbell (ambassadeur d’Angleterre en France) et le général Edward Spears. Cet dernier homme joue un rôle important dans le contexte autour du 18 juin. Représentant personnel en France de Winston Churchill dont il est un ami personnel, chef des services secrets britanniques en France, membre du comité suprême interallié qui s’est réuni les 11 et 13 juin, il est à Bordeaux pour essayer de gagner des personnalités politiques françaises à la poursuite de la guerre. Il obtient de Winston Churchill l’accord de décoller pour Londres le lendemain matin avec De Gaulle à 7 heures du matin à bord de l’avion anglais utilisé par celui-ci pour revenir de la capitale anglaise quelques heures plus tôt.

Le 17 juin, à 7 heures du matin, Spears est prêt à décoller. De Gaulle n’est pas là. Que fait-il ? Il s’est rendu au Quartier Général, Rue Vital-Carles où travaillent l’Etat-major de l’armée et les services de la présidence du conseil. Il rencontre en particulier le général Lafon, chef de la région militaire de Bordeaux. Dans quel but ? Finalement, De Gaulle rejoint l’aéroport de Mérignac d’où l’avion de Spears décolle à 9 heures.

Ce même 17 juin,, Pétain, nouveau président du conseil, annonce à la radio une demande d’armistice. De Gaulle est arrivé à Londres (aérodrome londonien de Heston) avec son aide de camp et Spears. Il rencontre rapidement Winston Churchill à Downing Street. Il est question d’un appel à la radio mais Churchill continue à s’activer en direction du gouvernement français de Bordeaux afin que la France, continue la guerre d’une façon ou d’une autre. Aussi, l’intervention radiophonique du Français est reportée. Le 17 après-midi, De Gaulle télégraphie au gouvernement Pétain "pour m’offrir à poursuivre dans la capitale anglaise, les négociations que j’avais commencées la veille au sujet du matériel en provenance des Etats-Unis, des prisonniers allemands et des transports vers l’Afrique" (Mémoires de guerre, Charles De Gaulle).

En France même, les premières formes de résistance apparaissent, animées en particulier par des dirigeants et militants communistes malgré le Pacte germano-soviétique.

Résistance : L’appel de Charles Tillon du 17 juin 1940

18 juin 1940 Georges Guingouin commence la résistance

16 au 22 juin 1940 Bourgeoisie et droite française capitulent devant Hitler. Pétain au pouvoir

23 août 1939 Le Pacte germano-soviétique et la Pologne. Réponse à un message de forum

7) " Le texte connu de l’appel est donc un faux" ; premiers arguments

Le 18, De Gaulle reste en contact permanent avec le cabinet britannique. Il voudrait lancer un appel. A partir de sources britanniques, l’historien François Delpla (dont les travaux ont fait partie du dossier officiel de l’UNESCO sur le sujet) résume bien cette journée à Londres : " Le gouvernement anglais se divise profondément sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la France, comme sur la continuation même de la guerre contre l’Allemagne, pour le moins mal engagée... Le ministre des Affaires étrangères Edward Halifax est fermement opposé à cette démarche (du Général de Gaulle), et paraît longtemps en mesure de l’emporter sur le premier ministre Churchill, qui n’en fait précisément pas une affaire d’Etat. Le cabinet britannique, réuni le 18 à 12h 30, met carrément son veto, en l’absence il est vrai de Churchill. Du coup la discussion, en ordre dispersé, rebondit dans l’après-midi. Au terme de ces tractations, si de Gaulle parle, c’est après avoir dû amender son texte à plusieurs reprises. Mais la discussion reprend dans la nuit... Le texte connu de l’appel est donc un faux, certes animé des meilleures intentions."

Le général De Gaulle a-t-il prononcé son fameux "discours" sur les antennes de la BBC le 18 juin 1940 ? Jusqu’à preuve du contraire, non. Comme l’argumente François Delpla, il a dû écrire un texte, sans cesse corrigé en fonction de demandes de ses interlocuteurs britanniques, mais il ne l’a pas lu à la radio et rien n’en fait un texte public. D’ailleurs, à ma connaissance, l’enregistrement sonore n’a laissé aucune trace, où que ce soit, ni à la BBC dont les archives sont réputées pour leur fiabilité, ni ailleurs alors que les centres radiophoniques de plusieurs pays enregistraient la BBC.

J’ai étudié le site http://www.charles-de-gaulle.org pour voir si j’y trouvais un argument contradictoire. Mon point de vue s’est trouvé conforté, par exemple par la phrase ouvrant le site en page d’accueil " « Il n’y a pas eu d’enregistrement (audio ou vidéo) de l’Appel du 18 juin 1940 ».

Dans ses Mémoires de guerre en trois tomes dont le premier s’intitule L’Appel, Charles de Gaulle a l’honnêteté de rester très court sur son "appel du 18 juin" : Le lendemain à 18 heures, je lus au micro le texte que l’on connaît." (page 70 Editions Plon, 1954)

Le Ministère de l’Education Nationale utilise pour ses Centres de Documentation , un logiciel nommé BCDI, comprenant des "Memodocnet" sélectionnés sur le web. Dans la base de celui-ci l’utilisateur peut trouver un lien vers "DOCUMENT : l’appel du 18 juin lancé par Charles de Gaulle depuis Londres". Cliquez et vous admirez une reproduction de l’affiche placardée à Londres... en août 1940 (texte reproduit au début de cet article dans la partie 1).

8) Le récit gaulliste de l’appel du 18 juin du vivant du général De Gaulle

Le général De Gaulle aurait rencontré Sir Duff Cooper, ministre britannique de l’information, pour intervenir à la BBC. Aucune trace dans les archives britanniques. Est-ce bien certain puisque celui-ci participait, semble-t-il, à la réunion de son gouvernement au même moment ?

Le texte d’un "appel" rédigé par De Gaulle a-t-il été montré à Winston Churchill ? Non catégorique du général à toute personne lui ayant posé la question. Non, d’après les archives britanniques. Or, les historiens et journalistes spécialisés français répondent généralement oui ; tel est le cas de François Malye dans son ouvrage ans Les grandes décisions de l’histoire de France (2018) : « Dès qu’il pose le pied dans la capitale anglaise, il sollicite auprès de Winston Churchill, Premier Ministre britannique, l’autorisation d’utiliser la radio afin de se faire connaître auprès de ses compatriotes. Séduit par cet immense personnage qui « avait emporté avec lui l’honneur de la France », Churchill la lui accorde sans hésiter. Mais si ce choix fut pris avec la résolution la plus ferme, sa mise en pratique et en ondes se heurta à de multiples obstacles dressés par les Anglais et fut bien plus chaotique que la légende gaullienne ne voudra le faire accroire. »

Introduit par l’accord de Sir Duff Cooper, De Gaulle serait arrivé peu avant 18 heures dans l’immeuble de la BBC, accueilli par Sir Stephen Tallance, directeur de celle-ci. Aucune trace dans les archives de la BBC.

Dans le studio B2, De Gaulle assisté d’un technicien britannique aurait peu après lancé un appel . Aucune trace non plus dans les archives de la BBC.

Là, plusieurs questions peuvent être posées :

Pourquoi les Britanniques ont-ils fait traîner leur accord pour un appel à la BBC ? Aurélie Luneau, auteure de « Radio Londres. Les voix de la liberté. 1940-1944 » explique fort bien Nous savons qu’il (Charles De Gaulle) a dû amender son texte à la demande du ministère des Affaires étrangères anglais pour être autorisé à s’exprimer. Les Britanniques étaient alors en pleine négociation avec le gouvernement français et le maréchal Pétain, qu’ils espéraient encore convaincre de poursuivre la guerre. Si la BBC avait laissé entendre les propos virulents de ce général, rebelle, qui ne cautionnait pas la demande d’armistice, cela aurait fermé les portes diplomatiques. Les Anglais avaient aussi à cœur de conserver la flotte française, ils craignaient qu’elle tombe aux mains des Allemands.

De Gaulle a-t-il lancé un appel sur les ondes ? Si oui, lequel ? Nous savons que le ministre britannique des affaires étrangères Lord Halifax avait imposé la phrase "Le maréchal Pétain recherche un armistice dans l’honneur, et s’il n’y a pas d’honneur, il n’y aura pas d’armistice". Pour être autorisé à s’exprimer, le général de Gaulle fût obligé de prétendre que Pétain était un homme d’honneur ce qui était le contraire exact de sa pensée. Or, cette phrase n’est présente dans aucune des versions de l’appel connues actuellement. Il est vrai qu’elle est totalement contradictoire avec le baratin sur "le premier appel à la Résistance contre Pétain en France".

A quelle heure (18h ? dans la soirée ? 22 h comme fréquemment indiqué, par exemple dans le dossier de RFI signalé ci-dessous). Peut-être la BBC a-t-elle seulement envoyé son communiqué à la presse. De plus, certains ouvrages insistent sur le fait que le manuscrit de l’appel était "sans ratures", d’autres « très raturés » selon la secrétaire bénévole du général.

9) L’appel à la Résistance n’a pas pu être prononcé le 18 juin parce qu’à ce moment-là ni De Gaulle ni Churchill n’affirmait encore une rupture définitive avec le gouvernement français de Bordeaux

Le 19 juin 1940, parmi les ordres et contre-ordres, le gouvernement français n’annule pas la décision de partir à Alger pour se soustraire à l’avance allemande. Les parlementaires reçoivent l’ordre de gagner le Verdon où un paquebot , "le Massilia" est mis à leur disposition. C’est l’amiral Darlan, ministre de la Marine qui signe la note officielle. "Affrété sur les instructions du gouvernement, le paquebot réunit à son bord des Français qui ont dit « non » à la défaite et qu’un seul désir anime : résister. Conformément à la décision prise par le Conseil des Ministres siégeant à Bordeaux, sous la présidence d’Albert Lebrun (président de la république), ils espèrent voir transférer le siège des pouvoirs publics dans les départements d’Algérie, afin de poursuivre la lutte contre l’ennemi sur les terres africaines françaises. Refusant le déshonneur et la honte auxquels l’envahisseur les condamne, les élus de la nation font le choix de quitter la métropole pour incarner en ses territoires la légitimité de la République.(...) tous partent avec la conviction que c’est en quittant la France qu’on peut mieux la servir." (Discours de Raymond Forni sur le site officiel de l’Assemblée nationale).

Le 19, Charles de Gaulle entre en contact avec le général Noguès, commandant en chef des troupes françaises en Afrique du Nord, "pour me mettre sous ses ordres au cas où il rejetterait l’armistice". Dans les jours suivants, il contacte aussi le général Mittelhausser (commandant en chef en Syrie), le général Catroux (gouverneur général de l’Indochine), M. Puaux (haut commissaire au Levant), M. Peyrouton (résident-général en Tunisie)...

Le général De Gaulle engage toutes ces démarches en lien avec le gouvernement britannique qui poursuit le même but : peser sur le gouvernement Pétain et les pouvoirs français dans l’Empire colonial pour éviter que la Grande-Bretagne se retrouve seule en guerre face à l’Allemagne nazie. En particulier, ils espèrent ainsi gagner une partie de la flotte de guerre française, décisive dans le rapport de force face aux armées allemandes positionnées sur les côtes de Normandie, Picardie, Nord de la France et Belgique.

Le 21 juin 1940, le paquebot Massilia (réquisitionné par le gouvernement français) quitte la Gironde pour l’Afrique du Nord (Casablanca) avec à son bord des personnalités politiques importantes décidées à poursuivre la guerre ( Daladier, Mandel, Mendès France, Jean Zay...)

Sur la fin du mois de juin, les Anglais envoient une délégation (de haut niveau : Cooper et Gort) en Afrique du Nord pour proposer au commandant militaire français le concours de leurs forces. Cette dépense d’énergie s’explique par le fait que l’acceptation générale de l’armistice n’était pas jouée avant la fin juin. Le 25 par exemple, le général Noguès, après avoir eu connaissance des conditions allemandes avait informé le gouvernement Pétain qu’il était prêt à poursuivre la guerre. Quant aux généraux Catroux (Indochine) et Legentilhomme (Côte des Somalis), ils maintinrent leur désaccord bien après juin 1940 et furent remplacés.

Le gouvernement britannique espérant encore en l’alliance militaire française, ne peut immédiatement jouer De Gaulle seul plutôt que Reynaud, Mandel ou ensemble Pétain De Gaulle.

De plus, Weygand (ministre de la défense) ordonne le 19 juin au général De Gaulle de revenir en France afin de poursuivre le combat. Si celui-ci avait prononcé son discours sur les ondes de la BBC le 18, quelqu’un l’aurait entendu et en aurait informé le gouvernement ainsi que le commandant suprême des armées.

10) Le mythe du 18 juin 1940 a été construit par les gaullistes pour des raisons politiques. Historique des commémorations

Dès le 18 juin 1941, l’Association des Français de Grande-Bretagne organise une " Manifestation pour commémorer le premier appel du Général de Gaulle : La France a perdu une bataille, elle n’a pas perdu la guerre ". Or, cette phrase-là est placée en tête de l’affiche d’août comme nous l’avons vu plus haut.

En 1942, la commémoration prend à Londres un aspect plus institutionnel et plus massif.

En 1943, trois évènements marquent l’anniversaire :

- les cérémonies organisées à Londres, comme les années précédentes

- un discours du Général à Alger " à l’occasion du troisième anniversaire du mouvement de la France Libre ".

- l’inauguration du poste émetteur de Radio Brazzaville, devenue station de puissance internationale

Le 18 juin 1944, Charles de Gaulle choisit Bayeux récemment libéré pour vanter, devant l’Assemblée consultative " le rassemblement national pour la guerre, pour la liberté et pour la grandeur que les Français ont commencé le 18 juin 1940 et qu’ensuite, pas à pas, ils ont poussé jusqu’à son terme "...

" L’appel du 18 juin 1940 n’a eu, n’a revêtu sa signification que parce que la Nation a jugé bon de l’écouter et d’y répondre... Mais puisqu’il fut prouvé depuis, par tant de combats obscurs ou éclatants, puisqu’il est prouvé aujourd’hui, Messieurs, par le magnifique témoignage de votre assemblée et par le concours immense du peuple, que les voies qui ont été définies le 18 juin 1940 étaient bien celles dans lesquelles la Nation entendait faire sa libération et sa rénovation, tous ceux qui la servent et d’abord son gouvernement, n’ont qu’une chose à faire : c’est d’être fidèles aux intentions du pays ".

https://www.cairn.info/revue-guerre...

https://www.charles-de-gaulle.org/l...


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